Paul EVDOKIMOV               L’ASCÈSE EST UN MOYEN D’AIMER

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Gare TGV Aéropot Saint Exupéry, Lyon Satolas

Les modalités de l’ascèse reflètent l’époque qui la pratique et s’adaptent à sa mentalité. Dans les conditions de la vie moderne, sous le poids du surmenage et de l’usure nerveuse, la sensibilité change. La médecine protège et prolonge la vie, mais en même temps, elle diminue la résistance à la souffrance et aux privations. L’ascèse chrétienne n’est jamais un but en elle-même ; elle n’est qu’un moyen, qu’une méthode au service de la vie, et elle cherchera à s’accorder aux besoins nouveaux.

Jadis l’ascèse des Pères du désert imposait des jeûnes extrêmes et des contraintes ; le combat aujourd’hui se déplace. L’homme n’a pas besoin d’un dolorisme supplémentaire ; cilice, chaînes, flagellations risqueraient de le briser inutilement. La « mortification » actuelle serait la libération de tout besoin de doping : vitesse, bruit, excitants, drogues, alcools de toutes sortes. L’ascèse serait plutôt le repos imposé, la discipline du calme et du silence, où l’homme retrouve la faculté de s’arrêter pour la prière et la contemplation, même au cœur de tous les bruits du monde, en métro, dans la foule, aux carrefours d’une ville ; mais surtout la faculté d’entendre la présence des autres, les amis de chaque rencontre. Le jeûne, à l’opposé de la macération que l’on s’inflige, serait le renoncement joyeux au superflu, son partage avec les pauvres, un équilibre souriant, naturel, paisible. Par-dessus l’ascèse somatique et psychologique du Moyen-Âge, on chercherait l’ascèse eschatologique des premiers siècles, cet acte de foi qui faisait de l’être humain tout entier l’attente joyeuse de la Parousie, l’attente non pas chronologique, mais qualitative qui discerne l’ultime et l’unique nécessaire car, selon l’Évangile, le temps est court et l’Esprit et l’Épouse disent : Viens !».

L’ascèse ainsi devient l’attention aux appels de l’Évangile, à la gamme des béatitudes ; elle cherchera l’humilité et la pureté du cœur, afin de délivrer son prochain et de le restituer à Dieu. Dans un monde fatigué, écrasé par les soucis, vivant dans des rythmes de plus en plus accélérés, la tâche est de trouver et de vivre « l’enfance spirituelle », la fraîcheur et la naïveté évangélique de la « petite voie » qui conduit à s’asseoir à la table des pécheurs, à bénir et à rompre le pain ensemble.

Aucune ascèse privée d’amour n’approche de Dieu : « nous serons jugés pour le mal accompli, mais surtout pour le bien que nous avons négligé et pour nos manques d’amour envers notre prochain », dit saint Maxime.

                                     L’orthodoxie, dans Unité chrétienne : p. 34-35 et 41.